

Qu’est-ce qui pousse une avocate brillante à quitter le droit pour retourner sur les bancs de l’école et devenir architecte d’intérieur ? Pour Maéva, c’est l’envie de créer, d’innover et de construire un métier aligné avec ses valeurs. Dans sa chronique, elle revient sur les étapes de cette reconversion, les obstacles rencontrés et la vision claire qui la guide aujourd’hui.
Si tu devais résumer ton parcours en quelques grandes étapes, tu dirais quoi ?
Je suis née à Paris et j’ai grandi entre Paris, Lille et Los Angeles. Après des études de droit en France, je me suis spécialisée en droit financier à l’université Paris V. À la fin de mon Master 2, je suis partie vivre au Luxembourg.
J’ai exercé comme avocate en fonds d’investissement pendant un peu plus de trois ans, avant de tout quitter pour intégrer l’école d’architecture d’intérieur MJM Graphic Design Paris. Après mon diplôme, j’ai travaillé quelques mois dans une agence parisienne, puis j’ai lancé ma propre agence au Luxembourg : Onomé Studio.
Qu’est-ce qui t’a menée vers le droit, puis vers le Luxembourg ?
Le droit me paraissait une voie solide et généraliste, qui permettait d’explorer beaucoup de domaines. J’étais attirée par la rigueur intellectuelle, l’argumentation, mais aussi par cette idée d’équité et de justice.
Très vite, j’ai senti que j’avais besoin d’une ouverture plus internationale. Le Luxembourg cochait toutes les cases : multiculturalisme, opportunités professionnelles et douceur de vivre.
Tu te projetais comment à l’époque ? Tu pensais construire une carrière d’avocate sur le long terme ?
Je voyais les choses de manière très binaire. Pour moi, le droit était une voie tracée : je ne me voyais pas faire autre chose, et j’aimais mon métier. Mais en même temps, j’avais beaucoup de mal à me projeter sur le long terme.
À quel moment tu as senti que ça n’allait plus ? Il y a eu un déclic ou c’était progressif ?
Je me suis toujours sentie en décalage, comme si je n’étais pas vraiment à ma place. C’est une réflexion qui s’est faite progressivement. Quand j’ai compris que mon projet de reconversion était aligné avec qui je suis, je me suis lancée sans hésiter.
Tu en parlais autour de toi ou tu as gardé ça pour toi au début ?
J’en ai d’abord parlé uniquement à mon compagnon, qui m’a soutenue dès le début, alors que ce n’était encore qu’une idée. J’ai attendu que mon projet soit concret pour en parler à mon entourage, car je savais que je n’allais pas faire marche arrière, quoi qu’on en pense.
Pourquoi l’architecture d’intérieur ? C’était une passion ancienne ou un coup de tête ?
L’architecture d’intérieur réunit toutes mes aspirations : direction artistique, entrepreneuriat, mode, art contemporain et sens de l’esthétique. J’aime aussi l’idée de transformation : partir d’une page blanche ou réinventer une vieille maison, repenser les espaces et leur donner une nouvelle fonction. Les avant/après sont très gratifiants. Et puis il y a la dimension humaine : ce qu’on conçoit permet à d’autres de mieux vivre et de créer des souvenirs.
Comment tu as osé faire le saut ? Tu t’es mise des conditions, ou tu t’es lancée sans filet ?
Ne pas oser n’était plus une option. La peur de regretter de ne pas avoir essayé était plus forte que la peur de l’inconnu. Je suis impulsive mais aussi réfléchie : quand j’ai bien pesé le pour et le contre, je fonce.
Ma seule condition était de m’investir à 100 %. Je n’ai jamais eu de plan B, et je n’en ai toujours pas : c’est ce qui me permet de rester engagée et motivée.
Tu as repris des études à 31 ans, dans un environnement intense : comment tu l’as vécu ?
Ce n’était pas une partie de plaisir. Je n’étais plus habituée aux devoirs et au cadre scolaire rigide. Je venais d’un univers complètement différent et il a fallu assimiler beaucoup de choses nouvelles et produire énormément de rendus en un laps de temps très court, quitte à sacrifier la créativité au profit de la productivité. Je me suis aussi mise une forte pression pour obtenir une mention — ce que j’ai réussi, mais avec quelques cernes en prime. Avec le recul, je suis fière de ce parcours et de toute l’énergie que j’y ai mise. C’était intense, mais incroyablement formateur.
Tu t’es sentie légitime à un moment dans ce nouveau milieu ? Et les réactions autour de toi ?
Ce n’est pas évident de se sentir légitime dans un milieu auquel on n’appartient pas au départ. Mais paradoxalement, je me sens vraiment à ma place. La question de la légitimité se posera sans doute toujours, car chaque projet est différent. Mais ce doute est aussi un moteur : il m’empêche de me reposer sur mes acquis.
Autour de moi, il y a eu de la surprise, beaucoup d’encouragements… et un peu d’inquiétude aussi. Parfois, même avec bienveillance, les gens projettent leurs propres peurs sur toi. Moralité : mieux vaut s’écouter soi, plutôt que trop écouter les autres.
Tu te rappelles de ton tout premier client ? À quoi ressemblaient tes débuts ?
Mes premiers clients sont venus de mon réseau d’avocats et de mon entourage proche, sur des projets d’aménagements de maisons et d’appartements.
Je suis encore dans cette phase de lancement, car le studio vient de fêter sa première année ! Je communique beaucoup sur les réseaux et je fais aussi de la prospection pour trouver des partenaires fiables. Quand tu débutes, personne ne te connaît… la communication est donc essentielle pour expliquer ce que tu proposes et comment tu réponds aux besoins des clients.
Sur quels types de projets travailles-tu aujourd’hui ? Et tes journées ressemblent à quoi ?
Je travaille surtout sur des projets résidentiels : aménagements et rénovations d’intérieurs. Concrètement, je redessine les plans pour améliorer la circulation, je crée du mobilier sur mesure quand c’est pertinent, je propose un concept créatif avec matériaux, palettes de couleurs, textiles, mobilier… jusqu’au vase posé sur la table. Puis je gère le suivi, le budget et la coordination du chantier jusqu’à la réception. Mes semaines alternent entre réunions de chantier, visites fournisseurs, présentations clients et temps de conception.
Je développe aussi les projets commerciaux (bureaux, commerces), car ces espaces manquent souvent de sensibilité : codes inadaptés, peu propices à la productivité, ou en décalage avec l’image de marque.
Il y a des choses de ta vie d’avocate que tu as gardées, qui t’aident aujourd’hui ? Et d’autres que tu as dû oublier ?
Mon passé d’avocate est un vrai levier. Il m’aide pour toute la partie constitution, gestion administrative, mais aussi dans ma façon de rassurer et d’accompagner mes clients de manière structurée et organisée. J’ai une double casquette créative et cartésienne qui est appréciée.
Ce qu’on voit de mon métier, ce sont de belles photos ou des rendus 3D. Mais derrière, il y a énormément de dessin, de recherche, de coordination, d’anticipation et de gestion des imprévus. Tout ça demande une rigueur que je dois en grande partie à mon ancien métier.
En revanche, je dois parfois mettre en pause mon côté trop rationnel. Car être architecte d’intérieur, c’est aussi être entrepreneure : il faut parfois décider à l’instinct et assumer les risques.
Qu’est-ce qui t’étonne encore dans ce nouveau métier ?
L’importance de la dimension psychologique. On compose avec la sensibilité du client et de toutes les parties prenantes, et ce n’est pas toujours simple.
Et puis, j’ai la chance de rencontrer des artistes, artisans et architectes d’un talent incroyable. Cette émulation est une source constante d’inspiration.
Tu te projettes comment dans les prochaines années ?
Depuis le début, j’ai une vision claire pour Onomé Studio : pousser l’aspect créatif très loin, associé à une expertise technique qui valorise l’art et l’artisanat. Je reste ouverte aux opportunités tant qu’elles sont alignées avec mes valeurs.
Dans les prochaines années, j’aimerais diversifier les types de projets, sensibiliser à la réhabilitation de l’ancien et construire une équipe solide autour de moi.
C’est quoi pour toi, réussir, aujourd’hui ?
Ma définition de la réussite a beaucoup évolué. Elle n’est plus liée à un diplôme ou à un statut. Réussir, aujourd’hui, c’est avoir une grande liberté financière, une liberté créative — pouvoir expérimenter sans me censurer — et devenir la meilleure version de moi-même, physiquement et mentalement.
Et pour finir, un fun fact sur toi ?
Je suis une vraie "beauty nerd" ! Passionnée par la science et la technologie des cosmétiques. En parallèle de mes études de droit, j’avais créé un blog beauté que j’ai alimenté pendant plusieurs années pour décrypter les ingrédients et conseiller des routines pointues. J’ai aussi fait de la micro-influence avec la marque américaine Glossier lors de son arrivée en France. Aujourd’hui encore, je continue à faire des programmes skincare sur mesure pour mes ami(e)s. Ce n’est pas un hasard : j’aime le Beau sous toutes ses formes.

Maéva Mathurin est la fondatrice d’Onomé Studio, un studio de design d’intérieur qui défend une vision engagée, intentionnelle et fonctionnelle de l’architecture d’intérieur. Ancienne avocate d’affaires spécialisée en private equity au sein de cabinets d'avocats top-tier au Luxembourg, elle s’est reconvertie en architecture d'intérieur pour mettre sa rigueur et son sens du détail au service de projets de rénovation exigeants. Aujourd’hui, elle accompagne particuliers et entreprises dans la transformation de leurs lieux de vie ou de travail, en alliant esthétique épurée, élégance des matières et sens de la narration spatiale.
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